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Covid-19 et détention : des mesures jugées insuffisantes

Pénal - Peines et droit pénitentiaire, Procédure pénale
16/04/2020
Plusieurs articles de l’ordonnance publiée le 26 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale pour faire face à la crise sanitaire actuelle sont consacrés à la lutte contre la « tension carcérale ». Deux semaines plus tard, qu’en est-il en pratique ? Qu’en pensent les professionnels ? Le point.
Dès le 17 mars, des mesures exceptionnelles ont été prises par la garde des Sceaux dans le but d’éviter les difficultés sanitaires en détention. Il s’agissait notamment :
- de la suspension des parloirs ;
- de la suspension des activités en milieu confiné ;
- de la mise en place d’aménagements nécessaires pour les promenades et activités sportives en plein air ou en espace non confiné.
 
Rappelons que les parloirs avocats sont toujours possibles, dans le respect des règles de sécurité sanitaire : les avocats peuvent venir avec un masque, il y a une vérification et ils certifient sur l'honneur qu'ils ne sont pas malades et les entretiens se font dans des salles qui ont le volume, les distances et le renouvellement d'air compatibles avec les conditions de sécurité, précise Stéphane Bredin, le directeur de l'administration pénitentiaire lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale le 15 avril 2020. Pour Adeline Hazan, la Contrôleure général des lieux de privation de liberté, auditionnée après le directeur, cela ne suffit pas et demande des gestes barrières plus importants, à savoir l'équipement de masques et de gants pour les détenus également.

Ayant conscience que « l’entrée en vigueur des mesures générales de confinement a des conséquences sur la vie quotidienne des détenus », la ministre de la Justice avait annoncé dans un communiqué publié le 19 mars 2020 :
- un crédit de 40 euros par mois sur le compte téléphonique de chaque détenu jusqu’à la fin du confinement (ce qui correspond à 11 heures de communication en France métropolitaine vers un téléphone fixe ou à 5 heures vers un téléphone portable) ;
- l’ouverture d’un service de messagerie téléphonique pour les familles via un numéro non surtaxé ;
- la gratuité de la télévision assurée pendant cette période ;
- une aide majorée de 40 euros par mois pour les détenus les plus démunis leur permettant de cantiner.
 

Objectif : agir sur les personnes qui entrent en détention et celles qui en sortent
Pour aller plus loin, pas moins de neuf articles de l’ordonnance publiée le 26 mars sont consacrés aux détenus. Un texte (Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, JO 26 mars, v. Covid-19 : ce que prévoit l’ordonnance adaptant la procédure pénale, Actualités du droit, 25 mars 2020) qui prévoit :
- des affectations de détenus dans des établissements pénitentiaires pour prendre des mesures indispensables au regard des impératifs de santé publique ;
- la possibilité pour le juge de l’application des peines ou le tribunal de statuer sur les aménagements de peine sur la base d’observations écrites des parties, sauf demande de l’avocat du condamné de développer des observations orales ;
- le délai dans lequel la cour d’appel doit statuer sur les décisions du juge de l’application des peines en cas d’appel suspensif est doublé, passant de deux à quatre mois ;
- la simplification des décisions en matière de réductions de peines, sortie sous escorte, permission de sortir, libération sous contrainte ;
- la simplification des décisions en matière de suspension et fractionnement de peine ;
- des remises de peines exceptionnelles ;
- l’exécution de la fin de peine en étant assigné à domicile pour les condamnés à une peine inférieure ou égale à 5 ans ayant deux mois ou moins de détention à subir ;
- la possibilité de conversion des reliquats de peine de 6 mois ou moins.
 
Une circulaire a également été publiée par la direction des affaires criminelles et des grâces et celle de l’administration pénitentiaire le 27 mars pour présenter les dispositions relatives à l’affectation des détenus et à l’exécution des peines privatives de liberté de l’ordonnance du 25 mars (Circ. 27 mars 2020, NOR : JUSD2008432C). Elle revient sur « la nécessaire mobilisation des parquets et des services pénitentiaires pour mettre en œuvre de manière rapide les mesures d’assignation à domicile de fin de peine qui permettront, sous certaines conditions, de libérer de manière anticipée certains détenus condamnés dont la fin de peine est proche et qui auraient été élargis à court terme ».
 
Des mesures à saluer selon Me Mejean qui « suivent en partie les recommandations du Défenseur des droits et si on regarde les résultats, près de la moitié de la surpopulation carcérale peut être libérée ». Soulignant également la prise de conscience du risque actuel en prison qui a pour conséquence, notamment, la diminution du nombre d’entrées en détention.
 
Elles restent néanmoins jugées insuffisantes notamment en ce qui concerne les détenus provisoires comme cela est également souligné par de nombreux professionnels.
 
 
Près de 10 000 détenus libérés
Pour contextualiser, Stéphane Bredin, directeur de l'administration pénitentiaire, a partagé un état des lieux de la situation en détention depuis le début de la crise sanitaire lors de son audition à l'Assemblée nationale le 15 avril 2020 : 
- 1893 signalements parmi les agents pénitentiaires ; 
- 204 personnels pénitentiaires positifs au Covid-19 ; 
- 1330 signalements au sein de la population pénale ;
- 76 détenus positifs au Covid-19. 

Au 14 avril 2020, et en excluant les personnes qui ne présentent plus de symptômes, qu'elles aient été diagnositqués au Covid-19 ou non, le directeur annonce que :
- 65 personnels pénitentiaires sont positifs au Covid-19 ;
- 465 personnels pénitentiaires présentent des symptômes sans avoir été testés ;
- 34 détenus sont confirmés positifs au Covid-19 ; 
- 433 détenus présentent des symptômes sans avoir été testés. 
 
Concernant les libérations, Nicole Belloubet a annoncé le 9 avril 2020, lors de son audition au Sénat par la mission de contrôle liée à l’épidémie de Covid-19, que 8 570 personnes ont été libérées entre le 16 mars et le 8 avril 2020. Une baisse due pour moitié à la diminution de l’activité des juridictions et des entrées en détention, et pour l’autre moitié, aux mesures spécifiques et dérogatoires, souligne la ministre. La garde des Sceaux précise ainsi que « le taux de surpopulation était de 119 % au 16 mars avec plus de 72 400 détenus, et au 8 avril, il est de 105 % avec 64 005 personnes détenues ».

Stéphane Bredin, directeur de l'administration pénitentiaire a plus récemment communiqué lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale, la diminution de 9 923 détenus au 13 avril 2020. Soit un taux d'occupation de 103 %. A noter que le taux de surpopulation dans les maisons d'arrêt a diminué de 22 % depuis le début de la crise sanitaire.  
 
Pour autant, le Sénat reste vigilant. La mission de suivi, qui s’est réunie pour examiner les textes pris par le Gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, a rendu publique son analyse le 2 avril 2020 (v. Covid-19 : le Sénat favorable à une application prudente des mesures liées à l’état d’urgence, Actualités du droit, 6 avr. 2020) et estime que la libération anticipée de certains détenus « doit cependant être opérée avec beaucoup de discernement pour éviter, d’une part, que ces libérations ne débouchent sur une recrudescence de la délinquance et pour s’assurer, d’autre part, que les personnes libérées disposeront, après leur sortie de prison, d’une solution d’hébergement satisfaisante leur permettant de respecter les règles de confinement ».
 

Des mesures insuffisantes pour la Contrôleure général des lieux de privation de liberté
Adeline Hazan l’a fait savoir à plusieurs reprises : les mesures prises ne suffisent pas. Dans un communiqué publié le 1er avril, elle explique ainsi qu’ « aujourd’hui force est de constater que les pouvoirs publics n’ont pas pris la pleine mesure de la gravité de la situation carcérale face à la crise sanitaire actuelle ; c’est pourquoi le CGLPL recommande que des mesures supplémentaires soient prises en urgence afin que l’État assure son obligation de protection des personnes qu’il a lui-même placées sous sa garde ».
 
Et lors d’un webinar Juri-Covid-19 organisé par le Club des juristes le 8 avril, elle maintient sa position et précise qu’ « il faut arriver à l’encellulement individuel si l’on veut pouvoir parler de confinement pour ces détenus », obligatoire depuis 1875. Et dénonce même le fait qu'à l'heure actuelle « les détenus ne sont pas confinés, ils sont entassés ».
 
Elle demandait notamment « la sortie des détenus qui sont à six mois de leur fin de peine », expliquant que ce seuil est celui prévu par la loi n° 2019-222 du 24 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui incite les magistrats, dès lors qu’il s’agit de peines égales ou inférieures à six mois, de les prononcer en milieu ouvert. « Cela permettrait de faire sortir encore quelques milliers de détenus et on pourrait probablement arriver près du seuil qui permettrait l’encellulement individuel » précise-t-elle.
 
En outre, elle demande que 13 000 voire 15 000 détenus soient libérés, notamment du fait de grâces individuelles ou après une loi d’amnistie qui permettrait d’amnistier les condamnations à moins de 6 mois.
 
La stratégie n’est, pour autant, pas la même du côté de la Chancellerie qui explique lors de son audition au Sénat ne pas avoir « d’objectif chiffré » mais « un cadre juridique précis visant seulement à répondre aux questions sanitaires qui se posent ».
 
L’autre critique de la Contrôleure porte sur l’une des mesures annoncées par l’ordonnance. Comme l’explique Nicole Belloubet, il est possible « d’accorder un crédit de réduction de peine supplémentaire pour ceux qui ont eu un comportement exemplaire pendant cette période de crise sanitaire ». La Contrôleure s’interroge alors sur l’utilité de cette mesure. « C’est une bonne mesure mais il est indiqué que cette réduction exceptionnelle ne sera appliquée qu’à la fin de la crise sanitaire en fonction du comportement des détenus ; ça n’a aucun sens compte tenu de la gravité de la situation ».
 
Concernant les conditions matérielles des détenus, Adeline Hazan relève également l’insuffisance des mesures prises pour « compenser la tension familiale ». En effet, il a été prévu un crédit de 40 euros sur le compte de chaque détenu. Pas assez pour la Contrôleure, qui demandait que « la gratuité du téléphone soit instaurée pendant toute la durée de cette crise sanitaire ». En effet, « à partir du moment où il n’y a plus de parloirs familiaux, il faut compenser, et compenser par un crédit de 40 euros c’est parfaitement insuffisant » explique-t-elle. Pour y faire face, elle propose également la généralisation des parloirs électroniques.
 
Elle tient tout de même à rappeler, lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale du 15 avril, que « c'est très difficile d'être en détention en ce moment, il s'agit d'une triple peine : la peine qu'ils effectuent, la peine de la peur de la maladie et la peine de la suppression des contacts ».

 
Les professionnels demandent la réduction des risques d’exposition des détenus
Le 1er avril, les Avocats pour la défense des droits des détenus, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et l’Observatoire international des prisons publiaient un communiqué commun annonçant notamment le dépôt d’un référé devant le Conseil d’État.
 
L’objectif de ces professionnels : la réduction des risques d’exposition des détenus. « Ces organisations demandent que soient prises en urgence des mesures afin de réduire les risques d’exposition des personnes détenues ». Pour elles, la promiscuité induite par la surpopulation démultiplie les risques de contamination au virus Covid-19.
 
Les professionnels réclamaient en outre :
- l’accélération des sorties de détention pour permettre l’encellulement individuel ;
- l’amélioration des conditions matérielles de détention pour prévenir la propagation du virus et garantir la dignité des détenus.
 
Faciliter les sorties de détention - Malgré les mesures prises par le Gouvernement, les professionnels estiment qu’elles sont « bien trop restrictives pour réduire significativement la population carcérale afin de juguler au mieux l’ampleur de la grave menace sanitaire ». Ces dispositions se heurtent à de nombreux obstacles, comme la communication entre détenus et avocats ou les difficultés d’accès aux juges.
 
Les organisations professionnelles demandent ainsi :
- l’élargissement des conditions de libération anticipée à toutes les personnes condamnées dont il reste moins de six mois de prison à purger ;
- la mise à disposition d’hébergements – par voie de réquisition – au profit de toutes les personnes susceptibles d’être éligibles à une libération ;
- la systématisation des réductions de peines supplémentaires ;
- le renforcement des moyens humains des services d’insertion et de probation et d’application des peines ;
- la mise en place de dispositifs permettant la remise en liberté des personnes placées en détention provisoire ;
- la multiplication des grâces présidentielles individuelles, sur la base de critères définis, afin d’accélérer les libérations.
 
Une amélioration des conditions matérielles - « Au regard de la situation et de la vulnérabilité particulière des personnes incarcérées, les organisations requérantes demandent la distribution de masques de protection et de gel hydro-alcoolique au profit des détenus, la distribution en grande quantité de produits d’hygiène et de nettoyage, ainsi que le dépistage systématique du Covid-19 en détention, à commencer par les établissements d’ores et déjà touchés » précise le communiqué commun. Aussi, les pratiques favorisant les risques de contagion ne doivent plus avoir lieu.
 
 
Demande rejetée par le Conseil d’État
Sur le référé déposé par la Section française de l’Observatoire international des prisons, l’association Avocats pour la défense des droits des détenus, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France, le Conseil d’État a rendu une ordonnance le 8 avril 2020 (CE, ord. 8 avr. 2020, n° 439827). Il rejette la requête.
 
Le juge des référés relève que :
- des consignes générales ont été données aux établissements pénitentiaires pour effectuer un nettoyage renforcé, une aération régulière des locaux et l’organisation des douches collectives de manière appropriée ;
- l’administration pénitentiaire a défini les mesures d’hygiène devant être appliquées dans les cuisines ;
- il appartient aux chefs d’établissements pénitentiaires de prendre toutes les mesures permettant de respecter les « gestes barrières » au sein des établissements.
 
Le Conseil d’État estime également que des mesures ont été prises pour limiter les mouvements à l’intérieur des établissements et pour réduire les flux de circulation entre l’intérieur et l’extérieur.
 
Les requérants avaient aussi demandé le recours à un dépistage systématique, mais « les conclusions tendant à ce qu’il soit procédé à un dépistage systématique de toutes les personnes détenues ne peuvent, en tout état de cause, en l’état de l’instruction et eu égard aux pouvoirs que le juge des référés tient des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, qu’être rejetées ». La demande relative à la distribution de masques est de même rejetée au regard des mesures et de la stratégie de gestion et d’utilisation maîtrisée des masques à l’échelle nationale.

 
À noter, le directeur de l'administration pénitentiaire a expliqué lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale le 15 avril, que dans les établissements pénitentiaires non touchés par l'épidémie : 
- le dépistage est systématique pour le personnel pénitentiaire présentant des symptômes : si le test est positif, il devient systématique pour l'ensemble du personnel de l'établissement ;
- le dépistage est systématique pour les détenus présentant des symptômes : si le test est positif, le dépistage est systématique pour le personnel de l'établissement et possibilité d'étendre le test à tous les détenus en contact avec le détenu dépisté positif, en fonction des disponibilités dans les zones concernées. 


Le juge des référés conclut qu’ « il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, la requête de la Section française de l’Observatoire international des prisons, de l’association Avocats pour la défense des droits des détenus, du Syndicat de la magistrature et du Syndicat des avocats de France, y compris les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative, doit être rejetée ».
 
 
Un référé relatif aux personnels pénitentiaires
Le Conseil d’État a également été saisi d'un recours émanant du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière. « Par sa requête, le syndicat requérant demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, d’ordonner, dans le contexte de l’épidémie causée par la propagation du virus covid-19, que soient prises différentes mesures propres à assurer une protection suffisante des personnels pénitentiaires à l’égard des risques de contamination par ce virus ». À savoir, la distribution de gants et de gel hydro-alcoolique, la suspension du régime « Portes ouvertes » et la définition de consignes relatives au déroulement des promenades. Le Conseil d’État statuant au contentieux y a répondu dans une ordonnance du 8 avril 2020 par la négative (CE, ord. 8 avr. 2020, n° 439821).
 
Sur la distribution de masques, le juge des référés précise que 260 000 masques chirurgicaux ont été alloués à l’administration pénitentiaire par instruction ministérielle du 31 mars 2020. Et que « le ministère de la Justice s’est en outre engagé à assurer, sans rupture, l’approvisionnement en masques chirurgicaux de façon à satisfaire l’ensemble des besoins journaliers qu’il évalue, à raison de deux masques par agent pour chaque jour de présence au travail, à environ 17 600 ». Eu égard à la stratégie de gestion et d’utilisation des masques devant être mise en place par les chefs d’établissement, au nombre de masques de protection disponibles, aux instructions concernant la distribution et à l’utilisation par les personnels pénitentiaires, l’atteinte grave et manifestement illégale n’est pas, pour le Conseil d’État, caractérisée.
 
La garde des Sceaux a d’ailleurs expliqué lors de son audition au Sénat qu’en plus des 260 000 masques déjà diffusés, d’autres sont prévus. Des masques de protection lavables et réutilisables seront bientôt distribués.
 
Concernant la distribution de gants et de gel hydro-alcoolique, le Conseil d’État précise que les chefs d’établissement doivent doter les personnels pénitentiaires d’un nombre suffisant de gants à usage unique pour chaque intervention impliquant un contact direct avec une personne détenue. Pour le gel, 2 020 litres ont été livrés le 26 mars aux directions interrégionales des services pénitentiaires et le ministère de la Justice s’est engagé à livrer 2 500 litres par semaine à destination des personnels pénitentiaires. Pas d’atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie des personnels pénitentiaires, donc, pour le Conseil d’État.
 
Pour la suspension du régime « Portes ouvertes » et la définition de consignes relatives au déroulement des promenades, le juge des référés a estimé que le maintien de ces mesures permet d’alléger « l’équilibre entre la sécurité sanitaire des personnes au sein des établissements pénitentiaires et l’obligation d’y garantir l’ordre et la sécurité ».
 
Ainsi, « en l’absence, en l’état de l’instruction, d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, la demande présentée au juge des référés ne peut être accueillie » juge le Conseil d’État.
 
 
L’allongement des délais de détention provisoire dénoncé
Pour rappel, l’ordonnance adaptant la procédure pénale prévoit une prolongation de plein droit, pour les affaires correctionnelles de deux mois, lorsque la peine encourue est inférieure à cinq ans, trois mois dans les autres cas et six mois en matière criminelle notamment. Ces prolongations continueront de s’appliquer après la date de cessation de l’état d’urgence (v. Covid-19 : ce que prévoit l’ordonnance adaptant la procédure pénale, Actualités du droit, 25 mars 2020).
 
Les professionnels ont dénoncé ces mesures à plusieurs reprises (v. Covid-19 : les professionnels vent debout contre l’ordonnance adaptant la procédure pénale, Actualités du droit, 8 avr. 2020), dont la Contrôleure général des lieux de privation de liberté qui explique dans un communiqué publié le 1er avril qu’ « il aurait été compréhensible que les délais arrivant à expiration pendant la crise sanitaire soient prorogés mais une prolongation de plein droit pour tous les mandats de dépôt, sans aucune comparution devant un juge, est non seulement injustifiée mais porte atteinte au droit à un procès équitable, aux droits de la défense et à la présomption d’innocence ».
 
De plus, elle relève cette incohérence le 11 avril sur France Inter expliquant que "d’un côté on fait sortir des détenus à deux mois de leur fin de peine et de l’autre côté on prolonge la détention d’environ 22 000 personnes sans comparution devant le juge. On n’a jamais vu ça". Et lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale le 15 avril, elle fait savoir qu'il aurait été bien de supprimer ces mesures par une ordonnance rectificative. 
 
La ministre de la Justice s’en défend lors de son audition par la commission des lois du Sénat affirmant dans un premier temps qu’« en dehors de la prolongation de ce délai, nous respectons toutes les autres garanties qui sont fixées par le Code de procédure pénale ». Et pour contester le paradoxe soulevé entre la prolongation des délais et la lutte contre la tension carcérale, la garde des Sceaux explique que « dans un cas nous parlons de personnes condamnées qui sont à l’extrême fin de leur peine, dans l’autre nous sommes face à des personnes qui sont présumées innocentes mais qui pour certaines d’entres elles, peuvent être des détenus qui sont dangereux ». Selon elle, la question de la « sécurité de la société » qui se pose, est essentielle.
 

Aucune ordonnance rectificative prévue à ce stade 
Des réponses sont alors attendues de la part du Gouvernement. Néanmoins, Nicole Belloubet a affirmé lors de son audition au Sénat : « je ne prendrai pas d’ordonnance rectificative à ce stade »Selon elle, « les textes existent et ont été validés par le Conseil d’Etat ainsi que par certaines chambres de l’instruction ». 
 
Un communiqué publié le 9 avril par le ministère de la Justice faisant suite à son audition conclut également qu’ « il s’agit d’un dispositif de régulation carcérale équilibré qui prend en compte tant l’urgence sanitaire que la sécurité publique ».

En attendant, Adeline Hazan, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté espère « que pour tout ce qui est améliorations évidentes du sort des détenus, une fois cette crise terminée, on saura en tirer les leçons pour permettre aux personnes détenues de vivre plus dignement ». À suivre…
 
Source : Actualités du droit