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Assignation en responsabilité du notaire pour les fautes ayant causé un préjudice à la liquidation judiciaire du débiteur

Affaires - Commercial
22/04/2021
En ne procédant pas aux vérifications légales permettant de découvrir la mise en liquidation judiciaire d’un gérant de société et de l’extrait d’immatriculation de la société au RCS mentionnant la désignation d’un administrateur provisoire, un notaire a permis la conclusion de la vente de l’immeuble de cette société sans l’intervention à l’acte de l’administrateur provisoire… vente ayant conduit à la dissipation du solde du prix de vente devant revenir à la liquidation judiciaire.
" Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ". Le principe s’applique au notaire rédacteur d’acte s’étant abstenu de procéder à certaines vérifications lui incombant, omission ayant eu des répercussions financières importantes dans le cadre d’une procédure collective.
 
En l’espèce, M. X… et son épouse avaient constitué la SCI XY…, dont le mari était le gérant, cette société étant propriétaire d'un immeuble. Par jugement du 3 mars 2006, le tribunal de commerce avait prononcé la liquidation judiciaire de M. X… et avait désigné M. A… en qualité de liquidateur judiciaire ; puis, par ordonnance du 28 février 2007, le président du tribunal de grande instance avait désigné M. B... en qualité de mandataire provisoire de la SCI, avec mission d'en assurer la gérance.
 
Selon un acte authentique reçu le 26 avril 2011 par M. C…, notaire, la SCI avait vendu son immeuble, sans l'intervention du liquidateur judiciaire et du mandataire, pour un prix de 97 000 euros. Après paiement des créanciers, le solde du prix de vente – d’un montant de 66 227,83 euros – avait été remis à la SCI par le notaire. Par jugement du 7 janvier 2015, le tribunal de grande instance avait constaté la vente de l'immeuble, ordonné la dissolution anticipée de la SCI et désigné M. B… liquidateur amiable afin, notamment, de déterminer l'utilisation du prix de vente et de remettre au liquidateur judiciaire de M. X… le montant du boni de liquidation pouvant lui revenir.
 
Invoquant le préjudice constitué par la dissipation du solde du prix de vente de l'immeuble de la SCI devant revenir à la liquidation judiciaire de M. X…, le liquidateur amiable avait assigné en responsabilité le notaire le 26 avril 2016, le liquidateur judiciaire étant ensuite intervenu volontairement à l'instance. Déboutés le 28 mars 2018, ceux-ci avaient fait appel du jugement, demandant la condamnation du notaire à payer la somme de 97 000 euros au liquidateur amiable, a titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ses fautes, ainsi que la somme de 66 227,83 euros au liquidateur judiciaire. La cour d’appel a rejeté ces demandes.
 
Lien de causalité… ou pas
 
Le notaire n’a pas procédé aux vérifications des publications légales permettant de découvrir la mise en liquidation judiciaire de M. X… et de l'extrait d'immatriculation de la SCI au registre du commerce et des sociétés mentionnant la désignation de l'administrateur provisoire.
 
Mais la cour d’appel a exclu tout lien de causalité entre ces fautes et le préjudice constitué par la dissipation du solde du prix de vente de l'immeuble de la SCI devant revenir à la liquidation judiciaire de M. X… Elle a retenu que la mission de l'administrateur provisoire de la SCI se limitait à sa gérance tandis que l'article 13 des statuts permettait aux associés de décider de la vente de leur consentement unanime, de sorte qu'il importe peu que M. et Mme X… se soient faussement présentés comme les cogérants de la SCI. L’arrêt ajoute que le notaire a versé les fonds, non directement à M. et Mme X…, mais sur le compte de la SCI et que c'est par la seule faute du liquidateur amiable, qui n'a pas procédé à l'examen des comptes de la société, que les fonds ont été dissipés (CA Amiens, 1re ch. civ., 10 déc. 2019, n° 18/01641).
 
Violation de l’article 1240 du code civil
 
S’étant pourvus en cassation, MM. A… et B… soutiennent que si le notaire avait appelé le liquidateur de M. X… à la vente, ou s'il avait refusé que les époux X…, se présentant faussement en qualité de gérants, concluent la vente, cette dernière aurait pu être évitée ; selon eux, cela aurait permis d'éviter, d'une part, la conclusion de la vente pour un prix inférieur au prix du marché, et, d'autre part, la dilapidation des fonds issus de cette vente.
 
Se prononçant au visa de l’article 1382, devenu 1240, du code civil, la Cour de cassation censure la décision violant ce texte : le notaire, en ne procédant pas aux vérifications lui incombant quant à la qualité déclarée de cogérants de M. et Mme X… et à l'absence affirmée par M. X… de procédure collective ouverte à son égard, a permis la conclusion de la vente sans l'intervention à l'acte de l'administrateur provisoire, seul habilité à représenter la SCI et à recevoir le solde du prix de vente lui revenant, ce qui a provoqué la dissipation des fonds ensuite constatée. La Cour renvoie les parties devant la cour d’appel.
 
Pour aller plus loin
Pour des précisions sur les pouvoirs du liquidateur judiciaire désigné par le jugement d’ouverture, se reporter aux nos 4515 et s. de l’édition 2020 du Lamy droit commercial.
Source : Actualités du droit