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Prononcé et motivation des peines en matière correctionnelle : importantes précisions de la Cour de cassation

Pénal - Procédure pénale
03/06/2021
Réunie en formation solennelle, la Chambre criminelle a rendu quatre arrêts portant sur l’application des dispositions relatives au prononcé et à la motivation des peines en matière correctionnelle, particulièrement les peines d’emprisonnement et leur aménagement, lesquelles ont été modifiées par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, entrée en vigueur le 24 mars 2020. Décryptage avec Maître Neiller, avocat au Barreau de Marseille.
Les réformes intervenues en matière de procédure pénale, sous cette mandature, parfois de manière précipitée, ont entraîné un certain nombre d’interrogations chez les acteurs judiciaires quant à leur application, sans doute par manque de concertation de ces mêmes acteurs.
 
Par 4 arrêts portant sur l’application des dispositions relatives au prononcé et à la motivation des peines en matière correctionnelle, la chambre criminelle de la Cour de cassation est venue préciser l’articulation de ces textes nouveaux quant à leur application par les juridictions correctionnelles.
 
Ces arrêts s’inscrivent dans le prolongement de l’arrêt du 20 octobre 2020 n° 19-84.754 dans lequel la Cour de cassation avait jugé que les dispositions de l’article 74 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, interdisant l’aménagement des peines d’emprisonnement ferme comprises entre un et deux ans, étaient plus sévères et donc ne pouvaient être rétroactives.
 
Les quatre arrêts du 11 mai 2021 traitent respectivement du prononcé des peines d’emprisonnement sans sursis en matière correctionnelle ainsi que des peines (autres que l’emprisonnement sans sursis) prononcées en matière correctionnelle ; mais également, de l’aménagement des peines d’emprisonnement sans sursis supérieures à un mois et inférieures ou égales à un an, de l’aménagement des peines d’emprisonnement ferme supérieure à un an et inférieures ou égales à 2 ans lorsque les faits ont été commis avant le 24 mars 2020.
 

Quid de l’application de l’interdiction des peines d’emprisonnement fermes d’un mois ?
La chambre criminelle s’est prononcée sur l’interdiction des peines d’emprisonnement fermes inférieures ou égales à un mois (Cass. crim., 11 mai 2021, n° 20-85.464).
 
L’article 132-19 alinéa 1erdu Code pénal proscrit le prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme d’une durée égale ou inférieure à un mois.
 
Selon la Cour de cassation, l’examen des travaux parlementaires démontre que le législateur a eu la volonté d’interdire au juge de prononcer des courtes peines, de sorte que les dispositions nouvelles s’analysent en une loi plus douce, laquelle doit s’appliquer aux infractions commises avant son entrée en vigueur, si toutefois les faits n’ont pas été définitivement jugés.
 
 
Quelle motivation des peines sans sursis ?
Dans une autre décision du même jour, la Cour de cassation s’est également prononcée sur la motivation des peines sans sursis (Cass. crim., 11 mai 2021, n° 20-83.507).
 
La Haute juridiction rappelle sa jurisprudence antérieure à la loi Belloubet de 2019 en matière de peine sans sursis, précisant que pareille sanction doit se justifier par plusieurs éléments tels que la nécessité au regard de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction.
 
Pour la Chambre criminelle, il résulte de la réforme opérée par l’article 74 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 relatives aux peines et à leur aménagement, modifiant les articles 132-19, 132-25 du Code pénal et 464, 474-2 et 723-15 du Code de procédure pénale ; que la combinaison de ces dispositions, interdisant tout aménagement des peines d’emprisonnement sans sursis d’une durée comprise entre un et deux ans, impose à juridiction de jugement le principe selon lequel elle « [..] ne peut écarter l’aménagement que si elle constate que la situation ou la personnalité du condamné ne permettent pas son prononcé ou si elle relève une impossibilité matérielle de le faire.
 
Dans ce cas, elle doit motiver spécialement sa décision, de façon précise et circonstanciée, au regard des faits de l'espèce, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ».
 
Ainsi, le juge répressif qui prononce une peine d’emprisonnement ferme doit impérativement tenir compte, non seulement des faits de l’espèce et de la personnalité de leur auteur, mais encore de la situation matérielle, familiale et sociale de celui-ci.
 
Pour la Cour de cassation, les dispositions évoquées sont issues d’une loi de procédure, ce qui les rend immédiatement applicables, nonobstant la commission des faits antérieurement à la promulgation de la loi.
 
 
Quelle appréciation des seuils de 6 mois ou un an d’emprisonnement ?
Enfin, la chambre criminelle, grâce à deux arrêts, (Cass. crim., 11 mai 2021, n° 20-85.576 et Cass. crim., 11 mai 2021, n° 20-84.412) est venue préciser que les seuils de 6 mois ou d’un an d’emprisonnement doivent s’apprécier :
  • en ajoutant la révocation totale ou partielle d’une peine avec sursis (simple ou probatoire) ;
  • et en retranchant la durée de la détention provisoire effectuée.

Également, l’aménagement des peines inférieures ou égales à un an :
  • est obligatoire pour les peines inférieures ou égales à 6 mois,
  • est de principe pour les peines inférieures ou égales à 1 an.
 
À noter que pour cette dernière catégorie, elle a précisé que « Si le prévenu est comparant, la juridiction doit l’interroger sur sa situation personnelle et, le cas échéant, peut ordonner un ajournement de la peine aux fins d’investigations sur sa personnalité ou sa situation, en application de l’article 132-70-1.
Si le prévenu est non comparant, la juridiction de jugement ne peut refuser d’aménager la peine en se fondant sur sa seule absence. Il lui appartient alors de rechercher, au vu des pièces de la procédure, si le principe d’un aménagement peut être ordonné ».
 
L’application à la lettre de la jurisprudence de la Cour de cassation, risque de bouleverser la philosophie des comparutions immédiates ou le « tout-carcéral » qui s’est parfois érigé en religion.

Cependant il est à craindre que dans un souci de commodité et de « respect de la loi » les juges soient tentés de prononcer des peines supérieures à 12 mois d’emprisonnement ferme afin de s’extraire des conditions posées par les dispositions précitées.


Maître Neiller, avocat au Barreau de Marseille.
Source : Actualités du droit