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Refus d’examiner des preuves à décharge en appel : violation de la CESDH

Pénal - Procédure pénale
28/06/2018
Dans un arrêt rendu le 27 juin 2018, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) rappelle que le refus d’examiner des preuves à décharge en appel constitue une violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH).
Lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut en principe, pour des motifs d’équité de la procédure, décider de ces questions sans appréciation directe des témoignages présentés en personne. La cour ajoute que l’évaluation de la fiabilité d’un témoin est une tâche complexe qui ne peut généralement pas être menée à bien par la simple lecture des déclarations écrites. Tel est le rappel opéré par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans un arrêt du 26 juin 2018 (v., parmi d’autres exemples : CEDH, 27 juin 2000, aff. 28871/95, Constantinescu c/ Roumanie, § 32 et CEDH, 6 juill. 2004, aff. 50545/99, Dondarini c/ Saint-Marin, § 27).

Les faits de l’espèce concernaient l’existence d’un réseau pédophile dans une institution publique chargée de l’éducation d’enfants issus de milieux défavorisés. À la suite de la parution d’articles de presse, une enquête pénale d’une grande ampleur avait été ouverte contre dix personnes et le chauffeur de l’institution, clef de voute du réseau. Après les plaidoiries qui eurent lieu au cours de l’année 2009, le tribunal avait alors modifié certains des faits imputés (notamment le lieu ou la date des faits).

Dans le jugement rendu par le tribunal, la thèse de la fabulation avait été rejetée et les requérants avaient tous les quatre été condamnés à des peines de prison allant de cinq à sept ans. Le jugement avait été confirmé en cause d’appel. La cour d’appel de Lisbonne renvoya une partie de l’affaire concernant les faits supposément commis par l’un des requérants dans la ville d’Elvas devant le tribunal de Lisbonne, en raison de modifications des faits qui lui étaient imputés sans qu’il n’ait pu se prononcer à cet égard. Les requérants présentèrent différents recours en inconstitutionnalité devant le tribunal constitutionnel, qui ne fit pas droit à ces demandes.

Violation des garanties procédurales

La procédure pénale concernant les faits supposément commis à Elvas s'était finalement terminée avec un arrêt de la cour d'appel de Lisbonne confirmant le jugement du tribunal de Lisbonne. La cour avait refusé au requérant, d'une part, de procéder à un nouvel interrogatoire de témoins à charge en appel, qui avaient changé de version dans les médias, et d'autre part, le versement de certaines pièces (des intervews données par certaines victimes à différents médias).

Aux yeux de la CEDH, la cour d’appel de Lisbonne aurait tiré parti d’un examen des nouvelles versions des faits. Elle estime donc que « les droits de la défense du […] requérant ont subi une limitation incompatible avec les exigences d’un procès équitable » (§ 231).

Énonçant la solution précitée, la Cour européenne conclut à la violation (par 4 voix contre 3) de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la convention, en raison du refus de la cour d’appel de Lisbonne d’admettre des preuves à décharge dans le cadre de la procédure d’appel.

Elle considère toutefois à l'unanimité qu’il n’y a pas eu de violation de ce même article en raison de l’impossibilité de confronter les victimes avec le contenu de leurs dépositions au cours de l’enquête. Il n’y a également pas eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 a) et b) en raison des modifications des faits de la cause.

Par June Perot
Source : Actualités du droit