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Nécessité de motiver la décision de maintien en détention dans l’attente du jugement

Pénal - Procédure pénale
25/02/2019
L’ordonnance distincte et motivée de maintien en détention jusqu’à la comparution devant la juridiction de jugement ne conserve pas automatiquement tous ses effets ; il appartient au magistrat de justifier la nécessité du maintien en détention.
En l’espèce, à la suite d’investigations effectuées par les services douaniers et la police judiciaire sur un trafic de stupéfiants dans la région de Versailles, une personne est appréhendée. En mars 2017, elle est mise en examen des chefs susvisés et placée en détention provisoire.
En avril 2017, la chambre de l’instruction est saisie d’une requête en annulation de diverses pièces du dossier. Par un arrêt rendu en novembre 2017, la chambre de l’instruction rejette la requête.
La personne mise en examen forme un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision. Par ordonnance rendue en mars 2018, le président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette la requête déposée aux fins d’examen immédiat du recours en application des articles 570 et 571 du Code de procédure pénale.
En septembre 2018, le juge d’instruction renvoie la personne mise en examen devant le tribunal correctionnel. Par ordonnance distincte et motivée du même jour, il décide de son maintien en détention jusqu’à sa comparution devant le tribunal. La défense formé deux appels, l’un contre l’ordonnance de règlement, sur le fondement de l’article 186-3 du Code de procédure pénale, en invoquant le caractère criminel des faits et l’autre, contre l’ordonnance de maintien en détention.
 
La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles, en novembre 2018, rejette les moyens de nullité tirés, d’une part, de l’irrégularité du placement en rétention douanière en raison de l’absence de tout flagrant délit douanier reprochable et, d’autre part, de l’irrégularité du réquisitoire introductif du fait de son absence de date et de l’impossibilité de la déterminer de façon certaine par autres pièces de la procédure.
La chambre de l’instruction confirme l’ordonnance de renvoi en correctionnelle en se prononçant d’abord sur la validité de la retenue douanière. Elle souligne que le requérant a été placé en retenue douanière pour cinq infractions, en tant qu’auteur principal et complice d’intéressement à la fraude de circulation et de détention irrégulières de marchandises soumises à justificatif et réputées avoir été importées, en bande organisée. Elle rappelle également que les investigations préalables au placement en retenue douanière du requérant ont permis d’établir les relations de ce dernier avec une autre personne qui, elle, s’est trouvée en état de flagrant délit au moment de son interpellation. La complicité s’attachant non pas aux auteurs seuls, mais bien à l’infraction elle-même, « ses complices l’étaient aussi ». Par ailleurs, les articles 121-6 et 121-7 du Code pénal ne distinguent pas selon qu’il s’agit d’infractions de droit commun ou prévues par des textes spécifiques et le délit d’intéressement à la fraude est bien réprimé par l’article 398 du Code des douanes, qui étend explicitement les dispositions relatives à la complicité aux délits douaniers. Le requérant se trouvait donc bien en état de flagrant délit au moment de son interpellation et de son placement en retenue douanière, qui doit, de ce fait, être considérée comme « parfaitement justifiée ».
 
S’agissant du réquisitoire introductif, la chambre de l’instruction admet que le dossier, tel que soumis à la chambre de l’instruction au jour de l’audience, fait apparaître que le réquisitoire introductif à l’origine de l’information n’est pas daté, alors qu’en principe, la date du réquisitoire introductif est une mention substantielle de cet acte et qui seule permet à la Cour de cassation de vérifier si les actes accomplis par le juge d’instruction l’ont été postérieurement à la délivrance du réquisitoire introductif auquel cas ils sont réguliers, ou antérieurement auquel cas ils sont nuls (Cass. crim., 23 avr.1971, n° 70-92.577, Bull. crim., n° 115).
Néanmoins, il ressort de la procédure que le réquisitoire introductif existait bien au moment de la première comparution le 4 mars. Cette comparution, qui a été le premier acte du juge d’instruction dans ce dossier, s’est déroulée en présence du conseil du mis en examen, qui a vu le réquisitoire litigieux et en a fait mentionner l’absence de date. Dans son procès-verbal d’interrogatoire de première comparution, le juge d’instruction a visé un réquisitoire introductif en date du 4 mars. La chambre de l’instruction constate donc que l’interrogatoire de première comparution est bien postérieur au réquisitoire introductif et que le juge n’a pas instruit sans être saisi, ce que ne contestait d’ailleurs pas la défense.
La chambre de l’instruction rappelle en outre que, selon la Chambre criminelle de la Cour de cassation, la preuve de la date d’un réquisitoire introductif peut être rapportée par d’autres actes de la procédure lorsqu’elle ne figure pas sur le réquisitoire lui-même (Cass. crim., 23 mars 2016, n° 15-86.726). Or plusieurs éléments du dossier font apparaître, en l’espèce, que le réquisitoire datait bien du 4 mars et non, contrairement aux allégations du conseil du mis en examen, que ce réquisitoire a pu être rédigé les 1er, 2 ou 3 mars avant la présentation des mis en examen (commandant de police indiquant que le procureur de la République lui a donné pour instruction, le 3 mars, de présenter les personnes gardées-à-vue le lendemain dès 9 h ; procès-verbal de déroulement de la garde-à-vue selon lequel le requérant était toujours dans les locaux de la police le 4 mars à 8h, heure à laquelle il s’est alimenté, avant d’être déféré le même jour pour être présenté devant le juge d’instruction. Par ailleurs, un examen attentif du réquisitoire introductif fait apparaître que les qualifications détaillées et développées des faits (notamment celle de l’apologie d’acte de terrorisme), qui ont été rédigés à partir de la lecture de la procédure qui n’a pu être transmise que le 4 mars. Enfin le réquisitoire vise bien l’enquête jointe de la DNRED et la procédure diligentée par la DRPJ). Pour la chambre de l’instruction, le réquisitoire introductif a bien été rédigé le 4 mars, cette date étant donc certaine. Au surplus, la chambre de l’instruction considère que le requérant ne démontre pas en quoi cette absence de datation lui cause un quelconque grief, sachant que l’irrégularité consistant l’omission de la date dans un réquisitoire introductif ne peut être cause de nullité que si d’autres pièces de la procédure ne permettent pas de la déterminer de façon certaine et qu’elle porte atteinte aux droits de la partie qu’elle concerne.

Le prévenu forme un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
Joignant les pourvois en raison de leur connexité, la Chambre criminelle confirme d’abord l’impossibilité de demander un examen immédiat du pourvoi formé contre un arrêt rendu par une chambre de l’instruction, cette décision ne constituant pas un arrêt sur le fond au sens de l’article 571 du Code de procédure pénale.
Puis elle se prononce sur le pourvoi formé contre l’arrêt rendu en novembre 2018, dont toutes les dispositions sont « expressément maintenues », à l’exception de celles relatives au maintien en détention, qui font encourir la cassation. La Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle en effet, au visa de l’article 593 du Code de procédure pénale, que tout arrêt de la chambre de l’instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
Or, en l’espèce, après avoir jugé que les faits poursuivis ne constituent pas un crime et confirmé le renvoi devant le tribunal correctionnel, l’arrêt retient que l’ordonnance distincte et motivée de maintien en détention conserve tous ses effets et ordonne le maintien en détention du prévenu jusqu’à sa comparution devant la juridiction de jugement.
En prononçant ainsi, la chambre de l’instruction ne s’est pas expliquée sur la nécessité du maintien en détention et n’a donc pas justifié sa décision.
Source : Actualités du droit