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La blockchain au soutien du RCS : les greffiers des tribunaux de commerce déploient leur solution

Tech&droit - Blockchain
Affaires - Sociétés et groupements
02/04/2019
Une première. Une profession réglementée, les greffiers des tribunaux de commerce, déploit une solution fondée sur la blockchain destinée à améliorer la gestion du registre du commerce et des sociétés (RCS). Le point sur les avantages et les perspectives.
 « C’est une première dans le secteur judiciaire français et européen, au niveau public », affirme Vincent Fournier, senior managing consultant blockchain d'IBM (les notaires ont, pour leur part, annoncé un proof of concept (POC) pour la délivrance sécurisée des copies authentiques numériques des actes notariés (v. POC en vue pour les notaires, Actualités du droit, 11 sept. 2018). Et c’est un projet mené par des tiers de confiance, à leur profit. Ceux précisément que la blockchain est censée désintermédier.
 
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à l’heure actuelle, les informations sur la vie des entreprises circulent entre les 134 greffes des tribunaux de commerce en France, à travers quatre systèmes d’information différents. Ces informations sont les notifications liées au registre du commerce et aux procédures collectives (changement de siège social, création d’un nouvel établissement, modification de statut ou de dénomination sociale, redressement, liquidation, etc.). Les greffiers reçoivent, contrôlent et certifient toutes les informations juridiques et économiques qui concernent les sociétés. Mais ces mises à jour du RCS peuvent concerner les ressorts géographiques de plusieurs tribunaux de commerce, rendant nécessaire une coordination.
 
Concrètement, actuellement, les échanges entre greffes se font par papier, mail ou coffre-fort sécurisés, mais il n’existe pas de système uniformisé qui permette de coordonner ces opérations. Il faut dire qu’aucun investissement lourd n’avait été réalisé ces dernières années pour assurer une cohésion dans le mode de traitement. Au final, peu de lisibilité sur le délai de traitement d’une information, avec des délais parfois longs et une déperdition de temps (lettre recommandée, temps perdu entre réception, enregistrement, traitement). Difficile, donc d’avoir de la visibilité et une transparence sur toute la chaîne.

« Avec la blockchain, nous allons pouvoir connecter progressivement deux systèmes d’information. Nous l’avons testé sur quatre greffes (Lyon, Paris, Meaux et Saint-Étienne). L’idée, c’est ensuite de l’étendre progressivement vers l’automne pour arriver à 50 % de la couverture du territoire », précise Philippe Bobet, président honoraire du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC), qui a mené ce projet.
 
La blockchain, instrument de transparence et d’efficacité
La blockchain est une technologie qui permet aux entreprises de se moderniser en connectant des systèmes d’informations déjà existants de façon relativement simple. « L’idée, c’est d’améliorer la qualité de service public puisque l’on aura une visibilité sur les envois, temps de réception, temps de transmission et retour de transmission. Cela nous permettra d’avoir des tableaux de suivi fiables et transparents ».
 
Une solution qui permet aux greffiers de se caler sur le rythme de transformation des entreprises, « qui évoluent dans un monde économique qui s’accélère et change en permanence. Elles sont en droit d’attendre les mêmes qualités de service de la justice consulaire et des greffiers des tribunaux de commerce et des gestionnaires des registres du commerce ». Les informations pourraient désormais être traitées en un jour et accessibles par tous les greffes concernés.
 
« Pour ce projet, nous sommes allés chercher les caractéristiques les plus pures de la blockchain, souligne Vincent Fournier. Une des missions principales des greffiers consiste dans la tenue du registre. La blockchain, c’est une technologie de registre ». Le type d’informations gérées par les greffes impose des exigences de qualité et une sécurité des informations. Pour le senior managing consultant blockchain d'IBM, « on retrouve précisément avec la blockchain les caractéristiques d’immutabilité et de distribution : en l’occurrence, chaque greffier en charge du ressort géographique devant le tribunal de rattachement. Le caractère distribué de la blockchain fait du sens, par rapport à la manière dont la profession fonctionne aujourd’hui ». La blockchain soulève également des questions d’uniformisation, dans les méthodes et dans la manière dont l’information circule : « La profession avait déjà fourni un gros effort avec l’uniformisation du Kbis. Ce projet permet de faire un pas supplémentaire en ce sens ».
 
Concrètement, c’est une blockchain de consortium (permission), qui a été choisie, parce qu’elle permet un contrôle sur les accès et la manière dont la gouvernance est articulée. Le protocole choisi est Hyperledger Fabric, géré par une des communautés de la fondation open-source Linux.
 
Côté gouvernance, pas de formalisation officielle, mais le « souhait est de placer cette blockchain sous l’égide du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce », précise Philippe Bobet.
 
Ce que va permettre cette solution
La finalité de ce projet, c’est essentiellement d’avoir un outil unique pour l’ensemble des greffes des tribunaux de commerce et de renforcer la sécurité juridique des tiers.
 
Prenons l’exemple d’un groupe assez important, avec des établissements secondaires, qui traverse des difficultés l’amenant à être placé en redressement. En pratique, cette solution va permettre d’informer plus rapidement le greffe –en une journée– de la situation des établissements secondaires pour que, localement, l’ensemble des principaux partenaires de cette société et ses créanciers soient informés bien en amont par rapport à ce qui se fait actuellement.
 
« L’objectif affiché par le président honoraire du CNGTC est de traiter en moins de 72h sur tout le territoire national ces informations, délai que nous avons du mal à tenir aujourd’hui ».
 
Cette solution est en plein déploiement. « Pour l’instant, indique Philippe Bobet, nous sommes dans une phase de découverte et de déploiement de la solution qui vient de commencer et qui va se terminer à la fin de l’année. L’objectif est d’avoir une blockchain complète et exhaustive, destinée uniquement aux greffiers, accessible à tous les greffiers de France ».
 
Une solution qui ouvre des perspectives
L’heure est actuellement à la consolidation de cette blockchain et un premier bilan sera dressé à l’automne. « Ensuite, précise le président honoraire du CNGTC, nous ferons le point pour savoir si d’autres projets pourraient se greffer autour ».
 
Lorsque cette solution sera stabilisée, des liens d’interprofessionnalité avec le notariat, des huissiers et des avocats, tout comme avec certains services de l’État, pourraient être envisagés, même si à ce jour, aucune évolution n’est programmée.
 
Autre champ des possibles, l’interconnexion des registres en Europe. « C’est effectivement l’une des pistes que l’on pourrait élaborer avec la Commission européenne : avoir un réseau blockchainé d’échange d’informations du registre de commerce, de greffe à greffe ». Rappelons que la directive sur l’insolvabilité impose aux teneurs de registre des tribunaux de commerce concernés par une procédure qui couvre plusieurs États, d’échanger entre eux. « Pourquoi pas, dans ce cadre, imaginer dans les prochaines années la création d’une blockchain d’échange entre les teneurs de registres européens » ? Une solution qui en tout état de cause renforce la position du RCS français dans l’Union européenne.
 
Mais rendez-vous déjà dans dix mois, pour dresser un premier bilan de cette solution…
 
Source : Actualités du droit