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Consécration et limites du principe de loyauté de la preuve : quelle réalité ? Le point de vue du professeur

Pénal - Procédure pénale
27/08/2019
La 5e rencontre de la cour d'appel de Paris et de la Faculté de droit de Sceaux a eu lieu le 20 juin 2019 à la cour d'appel de Paris autour du principe de loyauté de la preuve. 
Bien que le législateur n’ait pas érigé le principe de la loyauté dans la recherche des preuves parmi les principes directeurs du procès pénal figurant dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale, la jurisprudence l’a expressément consacré et fixé les conditions auxquelles il peut recevoir application. Pour sa part, la doctrine se montre particulièrement attachée au principe de la loyauté des preuves, comme le révèlent ses nombreux travaux. Ainsi, en l’absence de définition légale ou jurisprudentielle, elle a défini la loyauté comme « une manière d’être de la recherche des preuves, conforme au respect des droits de l’individu et à la dignité de la justice » (P. Bouzat, La loyauté dans la recherche des preuves», Mélanges L. Hugueney, Sirey, 1964, p. 155, et spéc. p. 172).

À vrai dire, la loyauté étant une notion aux contours flous, il est pratiquement impossible de donner à cette notion une définition qui couvre tous les aspects qu’elle peut revêtir. Cette absence de définition laisse une certaine souplesse au juge répressif qui fixe librement le contenu du principe de loyauté, en dégageant parfois tel ou tel critère destiné à limiter son champ d’application afin de servir les intérêts de la répression.    
Il faut bien reconnaître que bien que d’un point de vue étymologique, le mot «loyauté» puise sa source dans le terme de légalité («legalis»), ce principe exprime davantage des valeurs morales que juridiques.

C’est d’ailleurs en tenant compte des difficultés liées à la définition de la notion de loyauté que les parlementaires ont renoncé, lors des travaux préparatoires de la loi du 15 juin 2000, à faire figurer ce principe dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Et on ne peut pas prétendre que notre législation est lacunaire au regard des exigences imposées par les textes internationaux ou européens, car ceux-ci restent totalement silencieux sur la question de la loyauté.

Quant à la jurisprudence de la Cour EDH, elle est également discrète en la matière, en laissant aux juges nationaux une large marge de manœuvre. Ainsi, a-t-elle déclaré que, « si l’article 6 [de la Convention EDH] garantit le droit à un procès équitable, il ne règlemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui relève au premier chef du droit interne ». La Cour se contente simplement « d’examiner si la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable dans son ensemble » (v., notamment, CEDH, 9 juin 1998, Texeira de Castro c/ Portugal, § 34 ; CEDH, 12 mai 2000, Khan c/ Royaume-Uni, §§ 6 et 7 ; CEDH, 5 nov. 2002, n° 48539/99,  Allan c/ Royaume-Uni, § 50 à § 53 ; CEDH, 11 juill. 2006, Jalloh c/ Allemagne, §§ 94 et 95 ; CEDH, gr. ch., 10 mars 2009, Bykou c/ Russie, § 88). Ce faisant, les juges européens font donc entrer la notion de loyauté dans celle plus large de procès équitable. 

Ces précisions données, le « principe de loyauté dans l’administration de la preuve » est incontestablement présent dans la jurisprudence nationale. Cependant, cette dernière, après l’avoir reconnu, a apporté des restrictions importantes, difficilement justifiables, à son champ d’application. 
 
La consécration jurisprudentielle du principe de la loyauté des preuves
 Alors qu’une vieille jurisprudence se montrait tolérante à l’égard de la police qui usait de certaines ruses, de stratagèmes ou de subterfuges dans le cadre d’une enquête de flagrance ou préliminaire, elle n’hésitait pas, en revanche, à condamner le recours à de tels procédés dès lors qu’une information judiciaire était ouverte.

En particulier, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de la loyauté des preuves, dans la célèbre affaire Wilson, qui concernait un juge d’instruction ayant provoqué une conversation téléphonique avec un témoin, en dissimulant sa qualité de manière à faire croire à son correspondant que celui-ci était en communication avec l’« inculpé » lui-même. En l’espèce, le procédé employé a été jugé « contraire aux devoirs et à la dignité du magistrat » (Ch. réun., 31 janv. 1888, S. 1889, 1, 241, note J.-E. L). De même, la jurisprudence a estimé que le principe de loyauté s’imposait également aux fonctionnaires de police agissant sur commission rogatoire du magistrat instructeur (Crim. 12 juin 1952, aff. Imbert, Bull. crim. n° 153).

Puis, ce principe a progressivement fait son apparition dans la phase des enquêtes (Crim. 13 juin 1989, aff. Baribeau, Bull. crim. n° 254 ; solution confirmée  par : Cass. ass. plén., 24 nov. 1989, Bull. crim. n° 440).
 
Actuellement, l’étude de la jurisprudence fait clairement apparaître que le principe de loyauté s’applique aussi bien à la phase de l’instruction préparatoire qu’à celle des enquêtes de police. Par toute une série d’arrêts, les juridictions répressives ont fermement condamné des «machinations», des «stratagèmes ou artifices», voire tout «procédé déloyal», en tenant compte des conséquences de leur utilisation soit sur la manifestation de la vérité, soit sur l’exercice des droits de la défense. Ainsi, peut-on relever que, dans certains arrêts, la Chambre criminelle a pris soin de souligner que, par le «stratagème» employé, « qui a vicié la recherche et l’établissement de la vérité, il a été porté atteinte au principe de la loyauté des preuves » (Crim. 27 févr. 1996, Bull. crim. n° 93, JCP G 1996, II, 22629, note M.-L. Rassat ; v. aussi : Crim. 17 déc. 2002, Bull. crim. n° 231 ; Crim. 11 juill. 2017, n° 17-80.313 [à propos d’un officier de police judiciaire qui, dans le but de rechercher les preuves d’une tentative de chantage, s’était substitué, sous un pseudonyme, à la victime durant plusieurs mois dans des négociations avec les suspects]). Dans d’autres décisions, la violation de ce principe n’est reconnue que s’il a été porté atteinte aux droits de la défense et, notamment, au droit au silence et à celui de ne pas s’incriminer soi-même. La jurisprudence en fournit de nombreux exemples en la matière. 

On peut citer, à cet égard, le cas du policier qui enregistre clandestinement des propos qui lui sont tenus, fût-ce spontanément, par une personne suspecte (Crim. 16 déc. 1997, Bull. crim. n° 427) ou de l’enquêteur qui reproduit, dans un procès-verbal d’investigations, des déclarations verbales qu’une personne suspecte n’a pas voulu voir consignées dans son audition et qu’elle a faites « officieusement » (Crim. 3 avril 2007, Bull. crim. n° 102). Il en est de même des officiers de police judiciaire qui, conduisant une personne mise en examen à la maison d’arrêt, consignent dans un procès-verbal des confidences auxquelles cette personne s’est livrée auprès d’eux sur sa participation aux infractions et le déroulement des faits (Crim. 5 mars 2013, Bull. crim. n° 56). On doit rappeler ici qu’une personne mise en examen ne peut être interrogée que par le juge d’instruction, son avocat étant présent ou ayant été dûment convoqué. Dans l’hypothèse où la personne intéressée manifeste sa volonté de s’expliquer sur les faits objet de sa mise en examen, les officiers de police judiciaire doivent se borner à en faire rapport au magistrat instructeur.

En outre, il a été jugé que « constitue un procédé déloyal d’enquête, mettant en échec le droit de se taire et celui de ne pas s’incriminer soi-même », « le placement, durant les périodes de repos séparant les auditions, de deux personnes retenues dans des cellules contiguës préalablement sonorisées, de manière à susciter des échanges verbaux qui seraient enregistrés à leur insu pour être utilisés comme preuve » (Cass., Ass. plén., 6 mars 2015,  JCP G 2015, 558, note E. Bonis-Garçon, D. 2015, p. 711, note J. Pradel ; en ce sens, v. aussi : CEDH, 5 nov. 2002, Allan c/ Royaume-Uni, n° 48539/99, § 52).    
 
Dans d’autres cas , il arrive que, pour pouvoir parvenir à leurs fins, des services de police ont recours à des procédures tendant à d’autres objectifs que ceux poursuivis par le législateur qui les a instituées. On parle ici d’un détournement de procédure (V. sur la question : B. Bouloc, Les abus en matière de procédure pénale, RSC 1991, p. 211). Ainsi, la Chambre criminelle a été amenée à reconnaître un tel détournement lorsque des agents de police judiciaire avaient sollicité leurs collègues des douanes d’effectuer la fouille d’un véhicule, à l’effet d’y déceler un appareil détecteur des radars de la gendarmerie. Les hauts magistrats ont censuré ce procédé et jugé qu’aucune condamnation ne pouvait dès lors être légalement prononcée (Crim. 18 déc. 1989, Bull. crim. n° 485).

De même, dans une affaire concernant un trafic de faux documents administratifs, des fonctionnaires de police avaient demandé aux agents de l’administration douanière de procéder à une fouille minutieuse des bagages d’une personne soupçonnée de participer audit trafic, sur le fondement de l’article 60 du Code des douanes, ce qui leur avait permis par la suite d’interpeller cet individu, qui s’était trouvé porteur de faux passeports, et d’ouvrir une enquête de flagrance. La Chambre criminelle a condamné, en l’espèce, cette manière de procéder, en déclarant que les pouvoirs d’investigation conférés aux officiers et agents de police judiciaire ou à certains fonctionnaires par des lois spéciales ne peuvent être exercés que dans les conditions et les limites fixées par les textes qui les prévoient, sans qu’il leur soit permis de mettre en œuvre, par un détournement de procédure, des attributions que le législateur ne leur a pas reconnues (Crim. 11 mai 1992, Gaz. Pal. du 19 au 20 mai 1993, note J. Pannier). Ce faisant, la Haute juridiction condamne le stratagème, qui consiste dans la mise en œuvre de pouvoirs en vue de découvrir des infractions étrangères à la mission confiée à une catégorie déterminée d’agents. C’est encore ce qu’il a été décidé à propos d’investigations menées par des agents des impôts pour la découverte d’un délit de travail « clandestin » (actuel délit de travail dissimulé), sous couvert d’un contrôle de facturation (Crim. 17 oct. 1994, Bull. crim. n° 333. V. aussi : Crim. 3 oct. 1996, Bull. crim. n° 345).
 
Ces réserves formulées, la jurisprudence a, en outre, fixé des limites quant à l’admission de la provocation policière en tant que moyen de preuve. A vrai dire, on peut, à première vue, s’étonner que des fonctionnaires de l’Etat soient autorisés à se livrer à des actes d’incitation à la commission d’infractions. Sans doute, dans certains domaines particuliers où la délinquance cherche la plus grande discrétion, tel que celui du trafic de stupéfiants, la provocation pourra au moment propice permettre la constatation de ces infractions difficiles à faire apparaître. Mais est-il légitime d’avoir recours à un tel moyen de preuve ? 

Un examen attentif de la jurisprudence fait clairement apparaître que, à la différence des provocations «passives» ou des «provocations à la preuve» (F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, 4e éd. Economica, 2015, n° 575), qui sont, sous certaines conditions, autorisées, les provocations «actives» ou les «provocations à l’infraction» ne sont pas tolérées. 

On rappellera qu’une jurisprudence ancienne, rendue dans le domaine du trafic de stupéfiants, admettait la première forme de provocation (provocation «passive»), dès lors que l’intervention des agents n’avait pas déterminé l’action délictueuse, ni annihilé la liberté de décision des auteurs. En particulier, elle décidait que le fait pour un agent de police judiciaire ou d’un service spécialisé de se présenter comme acheteur ou intermédiaire n’est pas une provocation emportant anéantissement de la volonté du délinquant et n’est qu’une méthode pour faciliter la découverte et la constatation d’une infraction (Crim. 2 mars 1971, Bull. crim. n° 71 ; Crim. 2 oct. 1979, Bull. crim. n° 266). Il est vrai que dans ces hypothèses, les fonctionnaires de police avaient plutôt joué un rôle passif qu’actif et, de ce fait, on ne pouvait leur reprocher d’avoir incité quelqu’un à commettre une infraction qu’il n’aurait pas spontanément accomplie. Aussi bien, ces solutions se trouvent-elles confirmées par des décisions plus récentes (Crim. 29 juin 1993, Bull. crim. n° 228 ; Crim. 8 juin 2005, Bull. crim. n° 173).  

La jurisprudence a, par ailleurs, admis la provocation « passive » dans de nombreux autres secteurs. Ainsi, a-t-elle considéré qu’il n’y avait aucune irrégularité lorsque des inspecteurs de police se cachent dans un placard afin d’écouter une conversation, puis font irruption dans la pièce pour constater un délit de corruption active, dès lors que les enquêteurs étaient demeurés passifs (Crim. 22 avr. 1992, Bull. crim. n° 169, D. 1995, p. 59, note H. Matsopoulou). De même, elle a estimé que ne caractérise pas un stratagème portant atteinte à la loyauté des preuves, l’intervention des gendarmes ayant pour seul effet de permettre la constatation d’un délit de trafic d’influence dont ils n’avaient pas déterminé la commission (Crim. 16 janv. 2008, Bull. crim. n° 14). Il a encore été jugé que ne constitue pas une provocation, par un agent public étranger, à la commission d’une infraction la création, par un service de police new-yorkais, d’un site permettant aux internautes d’échanger sur des pratiques de fraude à la carte bancaire, dès lors que ce site, dont la consultation n’était pas prohibée, était destiné à rassembler les preuves de la commission d’infractions et à en identifier les auteurs, mais n’avait pas pour objet d’inciter les personnes qui y accédaient à passer à l’acte (Crim. 30 avr. 2014, Bull. crim. n° 119; v. aussi : Crim. 1er oct. 2003, Bull. crim. n° 176, AJ Pénal 2003, p. 107, note J. Leblois-Happe).    

En revanche, une jurisprudence constante condamne fermement toute forme de provocation «active», pratiquée par un agent de l’autorité publique ou par son intermédiaire, qui a pour objet, non pas de constater une infraction sur le point de se commettre, mais d’inciter une personne à accomplir « des faits pénalement répréhensibles, et de mettre en place une souricière en vue de son interpellation » (Crim. 27 févr. 1996, aff. Schuller-Maréchal, Bull. crim. n° 93, JCP G 1996, II, 22629, note M.-L. Rassat). En pareil cas, les juridictions répressives estiment que « la déloyauté d’un tel procédé rend irrecevables en justice les éléments de preuve ainsi obtenus » (Crim. 11 mai 2006, Bull. crim. n° 132, AJ pénal 2006, p. 354, obs. E. Vergès [à propos d’un policier ayant incité à la transmission d’images de mineurs à caractère pornographique dans le cadre d’échanges électroniques] ; Crim. 7 févr. 2007, Bull. crim. n° 37 ; Crim. 4 juin 2008, Bull. crim. n° 141).   

Sans aucun doute, la jurisprudence nationale, interdisant toute provocation « active », est en pleine conformité avec celle de la Cour EDH qui estime que « si l’intervention d’agents infiltrés est admissible dans la mesure où elle est circonscrite et entourée de garanties, elle ne saurait justifier l’utilisation d’éléments recueillis à la suite d’une provocation policière : un tel procédé est susceptible de priver ab initio et définitivement l’accusé d’un procès équitable» (CEDH, gr. ch., 5 févr. 2008, Ramanauskas c/ Lituanie, notamment § 73 ; v. aussi : CEDH, 17 sept. 2004, Eurofinacom c/ France ; CEDH, 4 nov. 2010, Bannikova c/ Russie).

Pour sa part, le législateur, afin de lutter efficacement contre certaines formes de criminalité particulièrement graves et occultes, a expressément consacré, dans de nombreux domaines, les provocations «passives», sous la qualification d’«infiltrations». Aussi bien, les différents textes, qui autorisent ces opérations, prennent-ils soin de préciser que, « à peine de nullité, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre des infractions ». Cela signifie que les fonctionnaires de police doivent éviter d’accomplir tout acte de provocation « active ».
 
Il en résulte donc que le principe de loyauté des preuves est non seulement présent dans la jurisprudence de la Chambre criminelle mais on peut même considérer qu’il figure parmi les principes directeurs du procès pénal, certaines décisions lui réservant une place à côté du principe du procès équitable (Crim. 11 mai 2006, Bull. crim. n° 132 ; Crim. 9 août 2006, Bull. crim. n° 202, Crim. 20 sept. 2016, n° 16-80.820, JCP G 2016, n° 1177, note A. Gallois, AJ pénal 2016, p. 600, note C. Ambroise-Castérot). On rappellera ici que c’est en se référant à la loyauté des preuves qu’une jurisprudence récente a reconnu à une personne le droit de demander l’annulation d’un acte concernant des tiers (Crim. 15 déc. 2015, JCP G 2016, n° 335, note H. Matsopoulou ; Crim. 7 juin 2016, n° 15-87.755, JCP G 2016, n° 1176, note O. Décima). C’est qu’en effet, dès lors que l’intéressé invoquait la violation du principe de loyauté, il pouvait se prévaloir de l’irrégularité d’un acte qui lui était préjudiciable, bien que ce dernier ne lui ait pas été personnel. 

Mais, si les juridictions répressives écartent les moyens de preuve obtenus, aussi bien par les fonctionnaires de police que par les membres de l’autorité judiciaire,  en violation du principe de loyauté, il en est autrement dans l’hypothèse où ces moyens sont administrés par des particuliers.      
 
Les restrictions jurisprudentielles    
S’agissant de moyens de preuve obtenus par des particuliers « de façon illicite ou déloyale », voire par la commission d’une infraction à la loi pénale, la Chambre criminelle les accueille favorablement. En particulier, pour déclarer recevables de tels moyens, elle s’appuie, notamment, sur les principes du contradictoire et de l’intime conviction. Par de nombreuses décisions, la Haute juridiction a affirmé qu’« aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. Il leur appartient seulement, en application de l’article 427 du Code de procédure pénale, d’en apprécier la valeur probante ». En suivant donc un tel raisonnement, les hauts magistrats se sont montrés favorables à la production par une partie civile d’une lettre «confidentielle» qui lui était parvenue de manière anonyme (Crim. 15 juin 1993, Bull. crim. n° 210), à la transcription des enregistrements de conversations téléphoniques remis par une partie civile qui les avait effectués à l’insu de ses interlocuteurs (Crim. 30 mars 1999, Bull. crim. n° 59) ou à la production des enregistrements d’une caméra équipant un local professionnel, qui montraient qu’un salarié s’appropriait diverses sommes d’argent au cours de manipulations de caisse occasionnées par son activité (Crim. 6 avr. 1994, Bull. crim. n° 136). De même, en se référant aux mêmes principes, la Chambre criminelle a admis le moyen du procédé dit «testing», consistant à solliciter la fourniture d’un bien ou d’un service à seule fin de constater d’éventuels comportements discriminatoires (Crim. 11 juin 2002, Bull. crim. n° 131 ; l’usage d’un tel procédé est actuellement autorisé par l’article 225-3-1C. pén. [v. aussi : Crim. 4 févr. 2015, Bull. crim. n° 26]).

Les juridictions répressives n’accueillent pas uniquement les preuves constituées par les parties civiles mais également celles obtenues par des personnes poursuivies (mises en examen ; v. Crim. 30 mars 1999, Bull. crim. n° 59), des témoins (Crim. 28 avr. 1987, Bull. crim. n° 173 ; Crim. 30 mars 1999, préc.), voire des tiers à la procédure (Crim. 1er oct. 2003, Bull. crim. n° 176).    
Sans aucun doute, pour la Cour de cassation, la libre appréciation par le juge pénal de la valeur probante des éléments de preuve qui lui sont soumis et la discussion contradictoire des parties suffisent à justifier le recours à des procédés « déloyaux » et à rendre « licite » leur emploi dans le procès pénal (Crim. 27 janv. 2010, Bull. crim. n° 16 ; Crim. 22 mars 2016, Bull. crim. n° 88). 
 
On pourra, par ailleurs, relever que, dans d’autres décisions, pour refuser d’écarter des moyens de preuve illicites ou déloyaux produits par des particuliers, la Chambre criminelle considère qu’ils « ne sont pas en eux-mêmes des actes ou pièces de l’information au sens de l’article 170 du Code de procédure pénale » et ne peuvent par conséquent « être annulés en application des articles 171 à 173 du même code » (Crim. 23 juill. 1992, Bull. crim. n° 274). Ainsi, a-t-elle validé des enregistrements de conversations privées, réalisés à l’insu des personnes concernées par un particulier, en indiquant qu’il s’agissait de moyens de preuve soumis à discussion contradictoire, la transcription de tels enregistrements ayant «pour seul objet d’en matérialiser le contenu » (Crim. 31 janv. 2012, Bull. crim. n° 27 ; v. aussi : Crim. 7 mars 2012, Bull. crim. n° 64).

Il en résulte donc que selon la jurisprudence, seuls les moyens de preuve constitués par des agents de l’autorité publique peuvent être considérés comme des actes de procédure susceptibles d’annulation. Cela signifie que ces actes peuvent être annulés pour violation du principe de loyauté, à la différence des moyens de preuve administrés par des particuliers qui échappent à une telle annulation. Il faut bien reconnaître qu’en procédant à une distinction purement « artificielle », la jurisprudence limite, de manière arbitraire, le champ d’application du principe de la loyauté des preuves, ce dernier ne pouvant concerner que les membres de l’autorité judiciaire et les fonctionnaires de police. A vrai dire, il n’est pas raisonnable de faire dépendre l’application d’un principe fondamental, composante essentielle de la notion de procès équitable, de la qualité de la personne qui apporte les éléments de preuve. Le principe de loyauté devrait jouer pleinement aussi bien à l’égard d’un agent de l’autorité publique que d’un particulier. 
 
On a du mal à justifier cette position jurisprudentielle qui relativise, dans le cadre d’un procès pénal, la portée d’un principe fondamental, contrairement aux solutions admises dans d’autres matières (civile, commerciale ou sociale). On rappellera que, par de nombreux arrêts, les autres chambres de la Cour de cassation refusent constamment d’admettre des preuves obtenues par des procédés illicites ou déloyaux auxquels peuvent avoir recours des particuliers (V., notamment : Civ., 2e, 7 oct. 2004, Bull. civ. II, n° 447 ; Com. 3 juin 2008, Bull. civ. IV, n° 112 ; Soc. 23 mai 2007, Bull. civ. V, n° 85). Et une telle solution est approuvée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.667, Bull. Ass. plén. n° 1).
 
Ces réserves formulées, les juridictions répressives prennent toutefois soin de vérifier si les moyens de preuve produits par des particuliers « ne procèdent d’aucune intervention, directe ou indirecte, d’une autorité publique » (Crim. 31 janv. 2012, préc.]). Ainsi, ont été retenus les éléments de preuve provenant des fichiers informatiques produits à l’appui d’une plainte de l’administration fiscale, « quand bien même ils auraient une origine illicite », dès lors que l’autorité publique n’était « intervenue ni dans leur confection ni dans leur appropriation » (Crim. 27 nov. 2013, Bull. crim. n° 238). En revanche, s’il est constaté qu’un représentant de cette autorité a agi par l’intermédiaire d’un particulier, en lui donnant des instructions précises ou en lui prêtant toute aide ou assistance de manière discrète, les actes ainsi effectués peuvent faire l’objet d’une annulation pour violation du principe de la loyauté des preuves (Crim. 27 févr. 1996, Bull. crim. n° 93 ; Crim. 11 mai 2006, Bull. crim. n° 132).

Aussi, la Chambre criminelle a-t-elle vu une « une participation indirecte » de l’autorité publique, dans l’hypothèse où la preuve d’un chantage avait été obtenue par des enregistrements réalisés lors des conversations en des lieux placés « sous la surveillance des enquêteurs » auxquels lesdits enregistrements avaient été remis ultérieurement (Crim. 20 sept. 2016, n° 16-80.820, préc.). Néanmoins, un tel point de vue n’a pas été partagé par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation ayant considéré, en l’espèce, que la chambre de l’instruction (saisie sur renvoi après cassation) avait pu déduire de ses constatations «l’absence de participation directe ou indirecte de l’autorité publique à l’obtention des enregistrements litigieux, ce dont il résultait que le principe de la loyauté de la preuve n’avait pas été méconnu » (Cass. ass. plén., 10 nov. 2017, n° 17-82.028, JCP G 2017, n° 1376, note C. Ribeyre, ibid. n° 1366, Libre propos A. Gallois). En particulier, la juridiction du second degré avait estimé que la preuve d’une « instigation des services enquêteurs n’[était] pas rapportée ». De plus, et surtout, elle avait considéré que « le concept de « participation », même indirecte, suppose l’accomplissement, par les enquêteurs d’un acte positif, si modeste soit-il », et que « le seul reproche d’un « laisser faire » des policiers, (…), ne [pouvait] suffire à caractériser un acte constitutif d’une véritable implication ». Il est regrettable que la plus haute formation de la Cour de cassation ait approuvé la décision de la juridiction d’instruction ayant adopté une conception stricte de la notion de « participation » (dans une note explicative, l’Assemblée plénière a indiqué que « les juges du fond disposent ainsi d’une marge d’appréciation au regard des circonstances de l’espèce, le contrôle de la Cour de cassation s’apparentant, dans une certaine mesure, à celui de “l’erreur manifeste d’appréciation” »). Cette position est d’autant plus regrettable que les circonstances de l’espèce faisaient clairement apparaître que les enquêteurs avaient joué un rôle qui pouvait difficilement être qualifié de « passif ».

Sans aucun doute, ces restrictions jurisprudentielles limitent considérablement le domaine d’application du principe de la loyauté des preuves et relativisent sa portée. A notre avis, quelle que soit la nature du procès, ce principe devrait recevoir application de la même manière. Et il n’est pas raisonnable de justifier de telles restrictions en se référant à l’objectif principal poursuivi par le procès pénal, à savoir la recherche de la vérité. La fin ne devrait surtout pas justifier tous les moyens en matière pénale.
Source : Actualités du droit