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Attentat du «drugstore Publicis» : ne bis in idem et compétence de la juridiction spécialisée

Pénal - Procédure pénale
18/11/2019

► L’infraction de port ou transport d’un engin explosif étant une opération préalable aux infractions d’assassinats, de tentatives d’assassinats et de dégradations volontaires par l’effet d’une substance explosive, elle procède de manière indissociable, d’une action unique avec ces infractions, caractérisée par une seule intention coupable et ne peut, en conséquence, donner lieu à une déclaration de culpabilité distincte ;

la Chambre criminelle se prononce également quant à la question de la compétence de la juridiction spécialisée ; elle précise en effet que la cour d’assises n’avait pas à être interrogée sur la nature terroriste des faits, qui, dans la présente espèce, n’était ni une infraction ni une circonstance aggravante, mais seulement un critère de compétence.

C’est ainsi que la Cour de cassation, dans son arrêt du 14 novembre 2019, tranche le litige qui lui était soumis (Cass. crim., 14 novembre 2019, n° 18-83.122, F-P+B+I).

Résumé des faits et de la procédure. Les faits de l’espèce concernaient l’attentat ayant eu lieu en septembre 1974 au drugstore Publicis à Paris. Un homme avait jeté, depuis le premier étage du bâtiment, un engin explosif avant de prendre la fuite, occasionnant la mort de deux personnes et plusieurs blessés.

L’information judiciaire et l’instruction ouvertes à la suite de l’arrestation d’une personne suspectée ont finalement abouti à une première cassation de l’arrêt de la chambre de l’instruction prononçant un non-lieu (Cass. crim., 15 décembre 1999). Le juge d’instruction de Paris a ordonné la mise en accusation de l’intéressé devant la cour d’assises de Paris, spécialement composée. Cette décision a été confirmée par arrêt de la chambre de l’instruction qui a opéré des requalifications. La Cour de cassation a rejeté les pourvois contre les arrêts précités (Cass. crim., 3 mai 2016, n° 16-81.048, FS-D). La cour d’assises spécialement composée, par arrêt du 28 mars 2017, a condamné l’intéressé pour assassinats, tentative d’assassinats, destruction du bien d’autrui par l’effet d’une substance explosive et infraction à la législation sur les armes, à la réclusion criminelle à perpétuité, a prononcé la confiscation des scellés et l’inscription au FIJAIT.

L’accusé a relevé appel à titre principal de ces deux arrêts.

Par arrêt du 15 mars 2018, la cour d’assises de Paris, spécialement et autrement composée, statuant en appel, a déclaré l’accusé coupable d’assassinats, de tentatives d’assassinats, de dégradations volontaires par l’effet d’une substance explosive et de transport ou port d’un engin explosif (en l’espèce une grenade explosive), hors de son domicile et sans motif légitime, et l’a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, a constaté son inscription au FIJAIT et a prononcé la confiscation des scellés. Un pourvoi a été formé.

Plusieurs questions de droit étaient soulevées.

Scellés et droits de la défense

Sur ce point, pour écarter le moyen tiré de ce que la cour d’assises a refusé de faire droit à la demande de l’avocat de l’accusé sollicitant la présentation d’un scellé correspondant à une photographie, la Haute juridiction considère qu’en l’absence de preuve d’une quelconque atteinte aux droits de la défense résultant de la disparition de ce scellé, il n’apparaît pas que son défaut de présentation ait porté atteinte aux droits de la défense, et ait pu vicier la procédure.

Compétence de la juridiction spécialisée

La Haute juridiction énonce, dans son arrêt, qu’aucune référence à la nature terroriste des faits reprochés à l’accusé ne figure sur la feuille de question, la feuille de motivation, l’arrêt criminel, ni sur l’arrêt de renvoi. En effet, le Code pénal, dans sa rédaction entrée en vigueur en 1994, a fait des actes de terrorisme des infractions autonomes, mais a aussi créé une circonstance aggravante de terrorisme pouvant assortir une qualification de droit commun, qui a pour résultat d’élever les pénalités encourues, ce qui est prévu par l’article 421-3 du Code pénal. Cette circonstance aggravante a été créée après la commission de l’attentat reproché à l’accusé, qui date de 1974. En conséquence, elle n’a pu être visée par l’accusation, en vertu du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère prévu par l’article 112-1 du Code pénal.

Le caractère terroriste de l’infraction a eu, dans la présente affaire, pour seule conséquence la compétence de la juridiction spécialisée (Cass. crim., 5 novembre 1997, n° 97-81.334). L’article 706-16 du Code de procédure pénale  n’a pas institué de nouvelles incriminations pénales mais s’est borné à désigner les infractions relevant de la cour d’assises spécialement composée, compétente, selon les articles 698-6 et 706-25  du Code de procédure pénale, quand les infractions ainsi énumérées sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation (Cass. crim., 7 mai 1987, n° 87-80.822 ; Cass. crim., 24 septembre 1987, n° 87-84128). Reprenant la solution susvisée, la Haute cour n’accueille pas le moyen.

Ne bis in idem

C’est au visa de la règle Ne bis in idem que la Haute juridiction conclut à la cassation de l’arrêt pénal. Elle énonce que selon cette règle, des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même accusé, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes (Cass. crim., 26 octobre 2016, n° 15-84.552, FS-P+B+R+I ; Cass. crim., 24 janvier 2018, n° 16-83.045, FS-P+B ; Cass. crim., 28 mars 2018, n° 17-81.114, F-D).

Dans la présente affaire, l’accusé a été déclaré coupable, d’une part, d’assassinats, de tentatives d’assassinats, et de destructions, et dégradations dangereuses pour les personnes commises par l’effet d’une substance explosive, et, d’autre part, en raison de la réponse affirmative à la question numéro 7, de transport ou port, hors de son domicile et sans motif légitime, d’un engin explosif assimilé à la catégorie A, en l’espèce une grenade à main explosive défensive d’origine américaine. Enonçant la solution susvisée, elle considère donc qu’il y a eu violation du principe Ne bis in idem.

 

June Perot

Source : Actualités du droit