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Visioconférence pour les contentieux de la détention provisoire : le Conseil constitutionnel enfonce le clou

Pénal - Procédure pénale
05/05/2020
Les dispositions permettant l’utilisation de la visioconférence sans accord du détenu dans le cadre d’audiences relatives au contentieux de la détention provisoire ont été jugées inconstitutionnelles. Reprises par la loi de programmation du 23 mars 2019, ces dispositions sont à nouveau déclarées non conformes à la Constitution. Les Sages prévoient le report de la date de leur abrogation. 
L’article 706-71 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (L. 2019-222, 23 mars 2019, JO 24 mars) organise le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle dans le cadre d’une procédure pénale « aux fins d’une bonne administration de la justice ».
 
Il prévoit notamment, sans consentement de la personne placée en détention provisoire, le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle pour les audiences relatives au contentieux de la détention provisoire devant la chambre de l’instruction.
 
Une question prioritaire de constitutionnalité a alors été posé. Le requérant relevant que les termes « chambres de l’instruction » ont été déclarés contraires à la Constitution dans une précédente version de l’article 706-71 par le Conseil constitutionnel dans une décision du 20 septembre 2019 (Cons. Constit. 20 sept. 2019, n° 2019-802 QPC, v. Visioconférence pour les audiences de la chambre de l'instruction relatives au contentieux de la détention provisoire et atteinte aux droits de la défense, Actualités du droit, 20 sept. 2019). En effet, les Sages avaient précisé qu’il résulte de ces dispositions « qu'une personne placée en détention provisoire pourrait se voir privée, pendant une année entière, de la possibilité de comparaître physiquement devant le juge appelé à statuer sur la détention provisoire ». Une atteinte excessive aux droits de la défense et une violation de la Constitution avaient alors été décidées.
 
Se fondant sur cette décision, le requérant conteste une méconnaissance des droits de la défense pour les mêmes motifs, de l’alinéa de l’article 706-71 dans sa rédaction issue de la loi du 23 mars 2019. Ces dispositions étant rédigées de manière identique à celles contestées dans la précédente affaire.
 
Alors, dans sa décision du 30 avril 2020, le Conseil constitutionnel estime que « si, dans sa décision du 20 septembre 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution des dispositions de l'article 706-71 du Code de procédure pénale identiques à celles contestées dans la présente procédure, les dispositions déclarées inconstitutionnelles figuraient dans une autre rédaction de cet article 706-71. Dès lors, il y a lieu pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la présente question prioritaire de constitutionnalité ».
 
Et alors, tout en rappelant les dispositions de l’article 16 de la DDHC garantissant les droits de la Défense, les Sages, pour les mêmes motifs que ceux de la décision du 20 septembre 2019, estiment que « ces dispositions portent une atteinte excessive aux droits de la défense et doivent être déclarées contraires à la Constitution ».
 
Quid de l’application dans le temps de la décision ?
Sur les effets de la décision dans le temps, les juges du Conseil constitutionnel rappellent qu’il est de principe que la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la QPC et que la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Néanmoins, l’article 62 de la Constitution émet une réserve : le Conseil a le pouvoir de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produit avant l’intervention de la décision.
 
Le Conseil constitutionnel précise alors :
- qu’il y a lieu de reporter au 31 octobre 2020 la date de l’abrogation des mots « la chambre de l’instruction », la rendre immédiate rendrait impossible tout recours à la visioconférence pour les audiences relatives devant la chambre de l’instruction et entraînerait des conséquences manifestement excessives ;
- « la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives », il n’est donc pas possible de contester ces mesures sur le fondement de cette inconstitutionnalité. 
 

Rappelons que pour faire face à l’épidémie de Covid-19 et garantir la continuité du service public de la Justice, l’ordonnance du 25 mars 2020 est venue élargir le champ de l’audience par télécommunication audiovisuelle, jusque là réservée à des cas limités (v. Covid-19 : ce que prévoit l’ordonnance adaptant la procédure pénale, Actualités du droit, 25 mars 2020). En effet, pour maintenir les activités essentielles tout en assurant la protection sanitaire des agents, du public et des personnes placées sous main de justice, il a fallu s’adapter et le développement de la visioconférence a permis de « réduire le présentiel au strict minimum » assure la ministre de la Justice lors de son audition par la commission des lois le 9 avril 2020. Elle a d’ailleurs précisé que « 2 000 matériels de visioconférence sont installés sur le territoire ».
 
Source : Actualités du droit